16 janvier 2016

« Laïcité », « liberté d’expression » et Big Data

Catégorie : Langue française

dico

Plus de 100 000 internautes voient dans « laïcité » et « liberté d’expression » les mots stars de 2015.  Voici ce que révèle Ngram, l’outil de mesure lexicométrique de Google, au sujet de la carrière de ces mots tendances et de quelques autres.

« Laïcité » et « Liberté d’expression » sont les deux mots de l’année 2015. Ainsi en ont jugé, au printemps dernier, 101 297 internautes doublés d’un jury où figuraient, entre autres, Alain Rey (éminence grise du dictionnaire Robert) et  Erik Orsenna (écrivain, académicien et, jadis, éminence grise de président).

Cette « votation » linguistique s’est déroulée à l’occasion du Festival du mot qui, chaque année, se tient à la Charité-sur-Loire, dans la Nièvre. L’année précédente, les mots « selfie » et « transition » avaient recueilli le maximum de suffrages. En 2013, « mensonge » et « transparence » montaient sur le podium.

On l’aura compris, si les mots servent à désigner les choses, les idées ou les sentiments, ils disent aussi leur époque : attentats, scandales, modes et angoisses façonnent notre manière d’utiliser le lexique.

A la fortune du mot

Google, à qui rien n’échappe, ne dit pas autre chose. Tout au moins Ngram, son outil de lexicométrie (mesure statistique du langage), qui permet de se faire une idée de la fortune des mots, fondée sur des données chiffrées.

Ngram, mais qu’est-ce que c’est ? Il s’agit d’une application lancée par Google, dès 2010, qui permet aux chercheurs linguistes, mais aussi à n’importe quel internaute comme vous et moi, de connaître le nombre d’occurrences d’un vocable dans un corpus de plusieurs centaines de milliards de mots, puisés dans les dizaines de millions de livres parus depuis deux siècles et numérisés en grand nombre par Google Books. Une sorte de Big Brother du langage en libre service.

Concrètement, il suffit de se rendre sur l’appli et entrer un ou plusieurs mots, en choisissant la langue qui vous intéresse. Presque instantanément, vous obtenez une belle courbe qui vous permet de visualiser la fréquence d’emploi des termes sélectionnés, de 1800 à nos jours.

Pour « Laïcité »  et « liberté d’expression », les deux mots stars de l’année, ça donne cela :Laicite

Qu’observe-t-on ? Le mot « laïcité » émerge doucement  avec la IIIe République (qui consacre la séparation de l’Eglise et de l’Etat), faiblit à la fin des années 30, pour rebondir après la Seconde Guerre mondiale. Il explose au tournant des XXe et XXIe siècles. Le débat public (quand il est permis)  et ses multiples controverses sont les faiseurs de rois en ce qui concerne la carrière des mots.

La formule « liberté d’expression » commence à apparaître pendant l’Occupation (on évoque une notion, surtout quand elle pose problème) et entame une progression régulière, mais relativement modérée jusqu’à aujourd’hui.

Ngram ignore complètement « selfie », le mot star de 2014. Normal, puisque le corpus digitalisé ne dépasse pas, pour l’instant, 2008. « Transition » apparaît plutôt en perte de vitesse, depuis une vingtaine d’années, n’en déplaise au jury du Festival du mot. Jugez-en :

Transition

En passant le palmarès 2013 à la moulinette Ngram, on découvre que le terme « mensonge » mène une carrière de père tranquille de décennies en décennies, alors que la « transparence » joue les star fin de siècle et fait un tabac au cours des années 90 :

Mensonge

Quant à la paisible commune de la Nièvre qui accueille le Festival du mot, si elle était une ville nouvelle, elle se nommerait probablement la « Solidarité-sur-Loire ». Voici pourquoi :

solidarite

 

Jean-Louis Langlois
Journaliste

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